L’Illusion d’exister est un témoignage poignant et bouleversant d’un homme qui a passé près de trente ans de sa vie en institutions psychiatriques. À un peu plus de septante ans, Claude Alain Augsburger met par écrit ce qu’a été sa vie, une vie brisée dès l’enfance. En parcourant ce récit à vol d’oiseau, on y découvre aussi entre les lignes une force de caractère qui lui a permis de se reconstruire envers et contre tout. Ce récit d’une vie brisée est tout ce qui restera de Claude Alain Augsburger, décédé en juillet 2021. Plus aucune trace de lui: aucune photo, aucun objet, aucune fortune, aucune descendance, aucune tombe. Seules survivent quelques personnes qui l’ont connu et soutenu. Elles ont désiré cette publication qui s’imposait comme un devoir de mémoire.
C’est Jean-Marc Leresche qui a assuré l’édition de l’ouvrage selon les voeux de M. Augsburger. Il est aussi l’auteur de la postface.
Vendu au prix de CHF 25.-dans les librairies Payot de Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds et à La Méridienne. Obtenable aussi en écrivant à editionssurlehaut@gmail.com.
En lien, un article sur les mesures de coercition et les placements à des fins d’assistance et souvent abusifs, une face sombre de l’histoire suisse.
Reflet du vernissage de l’ouvrage le dimanche 21 août 2022. Avec Jean-Marc Leresche, l’accompagnateur spirituel de Claude Alain Ausgburger et éditeur de ce livre et Emmanuel Schwab, psychologue

Voici les propos émouvants et lucides de M. Emmanuel Schwab :
« À partir du moment où j’ai commencé à lire le récit de Claude Alain Augsburger, je n’ai pu m’arrêter jusqu’à être arrivé à la dernière page. C’est bien sûr lié à mon métier de psy : je ne peux que me sentir très concerné par la narration du parcours en psychiatrie de l’auteur. C’est aussi lié à une raison plus personnelle : sa description du vallon de St-Imier de son enfance et son évocation comme en passant de la scierie de mon grand-père maternel a aiguisé mon intérêt, et j’ai été récompensé à la lecture du tableau social très vivant qu’il propose de cette région au siècle passé.
Mais ce texte a aussi été pensé comme une lettre, une lettre qui est donc à chaque fois adressée à un interlocuteur. Cela me semble-t-il est propre à intéresser n’importe quel lecteur : comment en effet est-il possible qu’un homme qui pendant une période importante de sa vie a été coupé de toute relation humaine ait pu retrouver, un peu, le goût de s’adresser à d’autres humains. Il y a là une sorte de miracle et un effet d’adresse : on se sent, je me suis senti en tous les cas, concerné par ce texte comme s’il m’était adressé par un frère en humanité.
Je vous propose dès lors de voir ce récit comme celui de ce qui pourrait arriver à chacun d’entre nous. Claude Alain Augsburger est indubitablement doté d’une grande intelligence et d’une mémoire hors du commun : soixante ans après les faits, il peut donner des précisions détaillées sur les protagonistes et les circonstances qu’il évoque. Il est également capable de nous faire revivre d’une façon très vivante et humaine le parcours de son grand-père maternel en le reliant aux conditions sociales de son temps. Après son très long purgatoire en psychiatrie, il retrouve une capacité d’attachement en particulier à cette fameuse « dame aux chats », cette sœur qu’il n’avait jamais eue. Et il retrouve également la capacité à s’émouvoir de son propre parcours qui fait de lui un être humain avec de l’épaisseur et de la profondeur. Un être humain auquel nous ressemblons, ou auquel nous pouvons en ce sens espérer ressembler.
Au cœur de son travail, il y a une douloureuse et interminable descente aux enfers dans l’univers de la psychiatrie, une vingtaine d’années pendant lesquelles Claude Alain Augsburger semble avoir erré sans but. Ce qui frappe en particulier à la lecture de ce récit, c’est combien les soignants n’ont pas pu imaginer le potentiel de leur patient à se reconstruire professionnellement malgré la brillante carrière qu’il avait construite jusqu’à l’âge de 33 ans. Comment les choses auraient pu se passer autrement ? Comment la décompensation dépressive vécue après une rupture sentimentale aurait pu être l’occasion de se reconstruire différemment ?
En lisant ce récit, j’ai pensé à la figure d’Enée qui lui était descendu aux enfers pour une bonne raison : pour y rencontrer son père. Ressusciter les fantômes du passé – Claude Alain Augsburger a perdu ses deux parents alors qu’il avait à peine vingt ans – … pour mieux pouvoir les tuer ? Ou pour s’expliquer encore une fois avec eux ? Quand, à la fin de sa vie, il rédige son récit, il ne va cette fois-ci pas reculer devant cette explication. Claude Alain raconte en effet comment il a été « fait » par sa mère : elle faisait tout pour lui, le lavant, l’habillant, lui laçant ses chaussures, s’inquiétant pour sa santé. C’est à elle qu’il doit son investissement du travail à l’école qui comptait beaucoup pour elle. A certains égards, il lui doit tout.
Mais d’un autre côté, quelque chose chez cette maman l’empêchait de faire grandir son cher fils unique en le laissant s’autonomiser : « tu te rends compte, il a 10 ans et il ne sait rien faire de ses 10 doigts. Chaque matin, je dois le laver, l’habiller, lacer ses chaussures. Excepté à l’école, il ne fiche absolument rien et si je n’interviens pas, il resterait là debout rêvassant comme un schnock ! »
On peut pourtant être sûr en lisant ce récit que cette maman espérait secrètement que son fils puisse devenir quelqu’un de bien qui la sauve de la misère dans laquelle elle se sentait enfermée. Cette scène m’a fait penser à une autre scène de la mythologie qu’on raconte à propos d’Œdipe, ce grand roi qui avait sauvé Thèbes de la peste par son intelligence. Une fois qu’il a compris comment il avait été joué par un destin maudit, il n’a pas pu s’empêcher de dire à ses deux fils quelque chose comme : « vous serez des ratés, à tel point que vous allez finir par vous entretuer ! » … ce qui ne manqua pas ensuite d’arriver. Comme si un des lois terribles de l’humanité nous conduisait à redoubler bien malgré nous sur nos proches le malheur que nous avions subi.
S’il était besoin d’une preuve de la véracité du récit de l’auteur, il faut relever sa capacité à remercier les interlocuteurs par lesquels il a pu se sentir aidé – comme son dernier psychiatre qui, dit-il, l’a réconcilié avec la psychiatrie. Il est donc clair que son récit ne se limite pas à un récit « à charge. » Comme j’ai la chance de superviser des collègues qui travaillent dans les institutions psychiatriques dans lesquelles Claude Alain Augsburger a perdu de longues années de sa vie, je crois que ce livre est très précieux parce qu’il nous montre dans le détail comment des petites scènes apparemment banales de la vie institutionnelles peuvent, avec beaucoup de négligence et parfois ce qu’on doit bien appeler de la maltraitance, rajouter du malheur au malheur, plutôt que de devenir l’occasion d’aider ces patients à rencontrer quelque chose de leur destin.
J’aimerais pour terminer, m’interroger sur la fonction de l’écriture : Claude Alain Augsburger a expliqué à Jean-Marc Leresche que, parfois pendant une semaine, il n’avait quasiment pas dormi, tenaillé qu’il était par la rédaction de son récit.
Traversée du miroir, rédemption ?
Par sa précision, sa qualité émotionnelle, sa profondeur, ce récit est le témoignage d’un homme qui, au soir de sa vie, ne veut pas mourir s’en avoir tenté d’accoucher de lui-même. »

Le texte intégral de l’article d’Anabelle Bourquin
Interné à tort durant 37 ans
Décédé en 2021, Claude Alain Augsburger, interné surtout à Préfargier et Perreux, a laissé derrière lui une autobiographie posthume.
PAR ANABELLE.BOURQUIN@ARCINFO.CH

On peine à y croire. Enfermé abusivement en institution psychiatrique durant plus de trente ans? C’est pourtant bien le calvaire qu’a vécu Claude Alain Augsburger entre 1982 et 2019, après avoir été hospitalisé contre son gré, essentiellement dans le canton de Neuchâtel.
Décédé l’an dernier à l’âge de 72 ans, ce natif du vallon de Saint-Imier laisse une autobiographie posthume bouleversante, «L’Illusion d’exister», parue aux éditions Sur le Haut. Pour des raisons de protection de la personnalité, seuls les noms des proches ont été conservés.
Fin de vie à 33 ans
De Claude Alain Augsburger, il ne reste aucune photo, aucune famille, pas même une tombe. «Nous étions cinq à son enterrement, dont sa femme de ménage et l’étudiante qui a mis en forme ses mémoires», raconte Jean-Marc Leresche, son accompagnant spirituel, qui a assuré le suivi de l’ouvrage.
Claude Alain Augsburger, c’est d’abord un cadre d’entreprises prestigieuses, un homme d’affaires dont les semaines sont partagées entre Neuchâtel et la Côte d’Azur. Une vie de caviar et de champagne, les filles de joie, le faste des palaces. Si sa vie professionnelle brille de mille feux, sa vie privée est un éteignoir. Solitaire, mal aimé des siens, raillé depuis toujours, le trentenaire est encombré de sa vie.
Sa carrière sans doute trop fulgurante est alourdie par des dettes, puis stoppée par une déception amoureuse. Désespéré, Claude Alain Augsburger fait une tentative de suicide. A sa sortie d’hôpital, en 1982, il est interné contre son gré à Perreux, puis Préfargier. Il a 33 ans et ne retrouvera la «liberté» qu’à 69 ans, transitant entre les cantons de Neuchâtel et Vaud, les chambres d’isolement et les centres de réinsertion. Il connaîtra aussi quelques emplois temporaires, notamment dans le journalisme et la politique.
Inapte à la société
Hanté par ses démons, l’homme est persuadé qu’il n’a pas le droit au bonheur et se mure dans la théorie de l’exclusion sentimentale, qui sera son carcan toute sa vie durant: «Je n’inspire pas l’amour.»Son parcours présente un visage horrifiant de la psychiatrie, laquelle l’estime «inapte à la société», et s’attellera à le maintenir hors du système.
Claude Alain Augsburger raconte des punitions et des humiliations marquantes. Menaces des soignants, camisole chimique le rendant «zombie». On lui promet de le «briser».
Coupé de l’extérieur, il dit être parfois volontairement sous-nourri dans le but d’être plus docile. On l’enferme en chambre de sécurité pour le protéger de lui-même. Lui y voit une façon de le désorienter pour mieux lui «laver le cerveau». Il subit des thérapies traumatisantes: chaise de contention et packs, «un traitement inefficace et dégradant (…) où le patient, nu devant des soignants, devait se coucher sur des morceaux de glace disposés sur une couverture (…) et s’exprimer sur ses difficultés».
Est-ce véridique?
Son quotidien se résume à «des activités abrutissantes (…) assimilées à un travail à la chaîne (…). Je n’étais pas dans un lieu de soins mais je purgeais une peine privative de liberté.»
Chaque velléité de fuir ce milieu psychiatrique, que ce soit par une opportunité professionnelle ou des fugues (parfois jusqu’au Tessin), se solde par un échec. Ce récit semble parfois surréaliste. D’autant que les patients psychiatriques ont la possibilité de dénoncer leurs conditions d’internement lors des visites de la commission de surveillance des activités psychiatrique, qui se déplace plusieurs fois par année dans les hôpitaux. «J’ignore s’il l’a fait», concède Jean-Marc Leresche. «La véracité des faits m’importe peu, je suis attaché à la vérité de Claude Alain Aubsburger. Un tel récit ne peut pas avoir été inventé. Dans son parcours, nous ne sommes pas dans un système où le patient est partenaire des soins. A chaque fois qu’il a voulu s’en sortir, on l’en a empêché. Il a servi de cobaye.» Le but de cette publication est double: «Ne pas oublier ce martyr de la psychiatrie, et se souvenir que la psychiatrie présentait aussi une facette sombre», rappelle Daniel Musy, l’éditeur. «Nous avons un devoir de mémoire.»
En 2018, Claude Alain Augsburger s’est attelé à rédiger un dossier dans le but d’être reconnu victime d’un internement abusif par la Confédération. Il a obtenu cette reconnaissance et des excuses, de même qu’un dédommagement à hauteur de 25 000 francs. Il est décédé un an plus tard.
3 QUESTIONS À…
EMMANUEL SCHWAB
PSYCHOTHÉRAPEUTE, CHARGÉ D’ENSEIGNEMENT À L’UNINE
«De tels enfermements abusifs existent encore»
Qu’apporte le témoignage de Claude Alain Augsburger ? C’est un récit unique. Claude Alain Augsburger a ramené des souvenirs très précis et une grande qualité émotionnelle de sa longue traversée des enfers. Le fait qu’il puisse nous dire de l’intérieur ce qu’il a vécu per- met de comprendre là où la rencontre a été manquée, pour nous professionnels. En l’occurrence, les psys ont «raté» Claude Alain Augsburger durant les 20 premières années de son hospitalisation. Le dialogue ne s’est instauré que lorsqu’il est entré en hôpital de jour.
Comment expliquer que tant de regards de professionnels soient restés insensibles à sa souffrance ? Même si l’on est un professionnel, de puissants mécanismes de protection nous empêchent de nous identifier au désarroi de nos patients et d’en comprendre toute la signification. Dans le fond, on se protège de la peur de la rencontre. Dans le cas de Claude Alain Augsburger, les soignants ont certes assuré sa survie, mais ils n’ont souvent pas su s’intéresser à la signification de ses actes. Ils n’ont pas réussi à entendre ni à se représenter ce qu’il vivait.
De tels enfermements abusifs sont-ils encore possibles en 2022 ?Cela existe encore, car la souffrance psychique est d’une grande complexité et qu’il est parfois très difficile de la déchiffrer. Plutôt qu’à seulement critiquer, ce livre est un puissant appel à soigner nos services psychiatriques: il nous montre que cette histoire pourrait être celle de chacun d’entre nous.